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Paléoanthropologie 2

I. LES ORIGINES

La systématique a pour vocation :

- étude de la diversité des êtres vivants, actuels et passés, et d'établir leurs relations spatiales et temporelles

La systématique a pour but :

- livrer des classifications  

Ces classifications dépendent des méthodes employées :

- anatomie comparée des squelettes

- comparaisons de l'ADN ou d'autres molécules

- comparaison des biogéographies, des comportements . ........ . et des principes qui les guident.

La systématique évolutive :

définit des classifications fondées sur des grades ou niveaux d'évolution.

La systématique phylogénétique ou cladistique :

définit des embranchements ou clades fondés sur les relations de parenté

Suivant l'approche adoptée, on aboutit à des classifications très différentes avec des conséquences importantes sur l'état de nos origines .

L'approche la plus classique correspond à la systématique évolutive. Tous les grands singes sont placés dans le grade des Pongidés alors que l'homme se retrouve seul dans le grade des hominidés . La notion de grade suppose qu'il existe un stade ou grade de l'évolution qui précède celui des hommes, celui des grands singes adaptés à la vie dans les forêts tropicales. Ce grade des Pongidésregroupe les Chimpanzés, les Gorilles et les Orang-outans. Les hommes campent le grade des grands singes redressés, bipèdes, adaptés à la vie dans les savanes . La notion de grade est étroitement liée à celle d'adaptation.

Cette classification de traduit par le schéma évolutif suivant : les premiers représentants de la lignée humaine , celle des hominidés, évoluent depuis un état ancestral comparable à celui des grands singes actuels , le grade des pongidés. La notion de chaînon manquant s'attache à cette conception en recherchant des fossiles intermédiaires entre des formes ressemblant , d'un côté aux grands singes et, de l'autre, aux hommes actuels. Celà suppose que les pongidés n'ont guère évolué depuis des millions d'années, une idée fausse . Quand au chaînon manquant , comment imaginer une forme fossile intermédiaire entre des formes actuelles ? Un tel fossile n'a jamais pu, à l'évidence exister.   

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L'approche de la phylogénétique systématique est tout autre. Elle discrimine les caractères primitifs des caractères évolués . Seuls ces derniers importent pour définir les lignées ou clades. Plus des espèces partagent des caractères évolués , plus elles sont proche d'un point de vue phylogénétique. Avec les avancées de la systématique moléculaire , les grands singes et les hommes se répartissent en deux lignées : une africaine et une asiatique. Les hominidés sont africains et rassemblent les hommes, les chimpanzés et les gorilles . Les pongidés sont asiatiques et représentés par lezs seuls orang-outans. On le constate immédiatemment, les mêmes termes, les mêmes taxons , n'ont pas les mêmes contenus . Dans le cadre de la phylogénétique évolutive, on dira que "l'homme descend du singe" . Dans le cadre de la phylogénétique systématique on dira que "les chimpanzés et les hommes partagent un dernier ancêtre commun exclusif".  La notion de dernier ancêtre commun découle directement des relations de parenté ou phylogénétiques entre les lignées ou taxons monophylétiques. Actuellement, ,les anthropologues privilégient donc une parenté plus étroite entre les chimpanzés et bles hommes, en plaçant les gorilles sur une branche plus éloignée . Cependant l'ordre des dichotomies au sein des hominidés africains n'est pas complètement établi. Pour certains ce sont les chimpanzés Pan troglodytes les plus proches de l'homme . Pour d'autres ce sont les chimpanzés Pan paniscus appelés Bonobos. Seules quelques études accordent une place privilégiée aux gorilles.  

Une fois les relations phylogénétiques entre les hommes et les chimpanzés établies, on peut reconstituer une partie de l'état de nos origines. Tout ce que nous partageons avec les chimpanzés, tout ce que nous avons en commun, provient d'un héritage commun.

Caractères communs partagés par les hommes et les chimpanzés

- Les chimpanzés vivent dans différents habitats, depuis les forêts profondes jusqu'aux savanes arborées.

- Leur répertoire locomoteur inclut le grimper, la suspension, la quadrupédie et la bipédie avec des degrés de spécialisation divers selon les espèces. Ils adaptent leur mode de locomotion versatile selon le milieu visité.

- Ils sont éclectiques dans leurs choix alimentaires , ils ont des régimes omnivores composés de feuilles, de fruits, d'insectes et de viande, tous sont d'excellents chasseurs.

- Ils exploitent un vaste territoire de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, où ils collectent leur nourriture.

- Ils forment des communautés de plusieurs dizaines de membres comportant mâles et femelles adultes ainsi que leurs enfants.

- La taille des groupes au sein des communautés varie d'un individu à plusieurs au gré des disponibilités en nourriture , et les femelles peuvent se déplacer seules sur le territoire protégé par les mâles.

- Les mâles sont apparentés, entretiennent des relations hiérarchiques fondées sur des alliances , et se montrent très hostiles envers leurs voisins .

- Les rapports sociaux sont dominés par les relations privilégiées entre les mâles apparentés - c'est l'inverse chez tous les autres singes -  ce qui n'empêche pas que les femelles exercent de fortes influences dans les jeux politiques.

- Chez les chimpanzés, les mâles entretiennent des liens privilégiés alors que ce sont les femelles chez les bonobos.

- Chez l'homme, ils existent entre mâles comme entre mâles et femelles . Si les relations entre mâles et femelles admettent certains liens privilégiés , comme une sexualité " humaine " ches les hommes et les bonobos, les mâles s'investissent peu dans l'éducation des jeunes.

Toutes ces caractéristiques s'accompagnent d'interactions complexes au sein des groupes sociaux , associées à des périodes de vie allongées  - ce que l'on appelle les paramètres de l'histoire de vie - ( gestation, sevrage, enfance, maturité ) et d'un cerveau développé. 

L'usage des outils et la transmission des divers savoir-faire  font partie des stratégies de survie . Pour ce qui est des capacités mentales , on peut ajouter, par comparaison avec les autres singes , celle d'avoir conscience de soi , d'imiter l'autre, de se mettre à sa place ( empathie ) et de comprendre ce qu'il ressent ( sympathie ) , de mentir, de manipuler, de montrer ( culture/éducation ) , d'afficher ou de camouflerr ses intensions et d'être apte à se réconcilier. Tout ces caractères se retrouvent chez l'homme, les chimpanzés et les bonobos, et font partie des bagages légués par un lointain ancêtre commun.   

Reconstitution du dernier ancêtre commun

De ce qui précède, le paléoanthropologue ne peut compter que sur les caractères squelettiques communs et leur signification morphologique , fonctionnelle et, parfois comportementale. Une synthèse pondérée de la taille des hominidés actuels  et fossiles désigne un dernier ancêtre commun (DAC) d'une stature de 1 à 1,2 m pour un poids de 30 à 45 kg. Le cerveau atteint un volume de 350 à 400 cm3 . Les canines sont certainement peu saillantes . Les incisives restent développées alors que les molaires possèdent des couronnes avec des reliefs arrondis et recouvertes d'un émail relativement épais. L'exercice devient plus difficile lorsque l'on veut reconstituer le répertoire locomoteur du dernier ancêtre commun des hominidés. Les chiffres du tableau ci-après, très variables qui indiquent les modes de locomotion des hominidés actuels , proviennent d'observations sur le terrain. Ceux de Lucy, dont le cas complète l'ensemble , reposent sur l'analyse fonctionnelle de son appareil locomoteur . La première ligne exprime , en pourcentage , la longueur relative des membres supérieurs par rapport à celle des membres inférieurs . L'homme y apparaît comme un bipède très spécialisé qui a sacrifié les autres modes de locomotion . Les variations sont plus marquées chez le chimpanzé . Ceux des forêts tropicales se suspendent plus et marchent moins à terre que ceux des savanes aqrborées. Les bonobos sont à la fois les plus arboricoles et les plus bipèdes des grands singes. Quant aux gorilles des montagnes , les mâles vont très peu dans les arbres alors que les femelles , bien moins corpulentesD, s'y réfugient le plus souvent. Les gorilles de plaines se révèlent plus arboricoles.

Scan0036  D'après ce tableau, on réalise combien les hommes sont spécialisés dans leur bipédie et combien les grilees et les chimpanzés le sont dans leur quadrupédie . Celle-ci est en effet très particulière . Ils se déplacent semi-redressés, dans une allure à deux temps, en s'appuyant sur les articulations entre les deuxième et troisième phalange On appelle celà le knuckle walking ou " marché-sur-les-articulations "  Sans titre 653

Les bonobos et Lucy maintiennent un répertoire locomoteur plus éclectique . Si on fait la moyenne de tous ces chiffres , alors le dernier ancêtre commun a toutes les chances d'incorporer la bipédie dans ses modes de déplacement . On doit même s'attendre à trouver cette aptitude chez tous les fossiles . Cela n'a rien de surprenant puisque des études de laboratoire montrent que l'action de grimper verticalement mobilise de la même façon les muscles des hanches  et du bas du dos que lors de la bipédie . En d'autres termes, la grimpée dans les arbres comme la suspension qui place le corps en position verticale sont des prédispositions ( adaptations ou aptations ) à la bipédie.

De cette approche, on retient qu'il n'y a pas un mode de locomotion mais des répertoires locomoteurs . La grande spécialisation des hommes et des chimpanzés a occulté cette plasticité locomotrice . Il en va de même pour les régimes alimentaires . Les hommes et les chimpanzés sont omnivores . Ils mangent tous de la viande . Mais c'est là une stratégie de survie des premiers , non pas des seconds . Donc la question n'est pas bipède ou pas bipède , végétarien ou omnivore , mais quelle est l'importance de la bipédie dans le répertoire locomoteur ou la part de l'alimentation carnée dans le régime. En ce qui concerne le DAC , on peut donc s'attendre à ce que son squelette montre des aptitudes à la bipédie . C'est l'hypothèse avancée . La reconstitution du dernier ancêtre commun permet de cerner le commencement de notre histoire évolutive, les origines.

Homininés / Paninés : date de divergence

La cladistique et la systématique moléculaire ont bouleversé notre façon de reconstituer nos origines . Les anthropologues moléculaires surprennent aussi  en proposant des âges pour les séparations entre les lignées évolutives ou cladogenèses . Ces estimations se basent sur le concept de l'horloge moléculaire . Son principe est fort simple . Selon le système génétique étudié et comparé entre des espèces proches , on estime qu'une mutation se manifeste en moyenne chaque million d'années. Ce taux varie d'un système génétique à l'autre  - entre 0,5 et 2 millions d'années - ce qui suppose que les mutations sont neutres. Si on a un taux de mutation de 1 million d'années et si on comptabilise 14 mutations entre les hommes et les chimpanzés actuels, alors la date de divergence est de 7 millions d'années ( Chaque lignée a accumulé autant de mutations depuis le temps de la dichotomie ). C'est le principe de l'horloge moléculaire. On obtient des des estimations très variables , dans une fourchertte de 1 à 15 millions d'années, avec une moyenne se prononçant autour de 7 millions d'années. L'anthropologie moléculaire invite les paléoanthropologues à rechercher un dernier ancêtre commun, nos origines, autour de 7 millions d'années et en Afrique.

Des origines dans un désert de fossiles 

En dépit de toutes les découvertes engrangées depuis la ruée vers l'os, les fossiles ne nous permettent de suivre qu'une portion de l'histoire évolutive de notre famille . Seuls quelques fragments fossiles épars apparaissent cà et là entre 14 et 7 millions d'années, jusqu'au moment de la dichotomie entre les Paninés et les Homininés . On en sait encore moins depuis cet évènement jusqu'à l'apparition des chimpanzés, des bonobos et des gorilles actuels . Même constat pour notre lignée entre 6 et 4,5 millions d'années. Puis arrivent les australopithèques.

On était face à ce constat jusqu'à l'annonce de la découverte de Orrorin tugenensis   qui possède un fémur allongé avec une diaphyse en biais ( fémur en valgus )  

 

, dont la longueur excède d'un tiers celle du fémur de Lucy, plus jeune de 3 millions d'années. Sa tête est développée et portée par un col allongé. Ce sont des caractères de bipède accompli . En revanche , une phalange de la main longue, mince et incurvée, trahit l'habitude de se suspendre aux branches . Les canines restent saillantes mais moins développées que chez les grands singes actuels. Les molaires sont relativement petites et couvertes d'émail plutôt épais , comme chez les hommes . Nous sommes assez près du portrait du DAC exposé plus haut, mais avec des différences notables.    

Un très bon PDF sur l'évolution des Hominidés

 

A l’automne 2000, lors d’une prospection de la Kenya Palaeontology  Expedition (un projet de coopération entre le Kenya et la France), la découverte d’ancêtres dans la Formation de Lukeino vieille de 6 millions d’années ouvrait une page nouvelle et très ancienne de l’histoire de nos origines, dont les premières lignes avaient été lues en 1974 avec la découverte de la molaire inférieure de Lukeino. Cette dernière était importante parce qu’elle montrait que des hominoïdés avaient été présents dans la Formation de Lukeino,  mais elle n’était pas suffisante pour donner une image claire du type d’Hominoïde dont il s’agissait. C’est pourquoi, la dent a été attribuée à un hominidé par certains et à un chimpanzé par d’autres. Le nouvel échantillon nous permet d’affirmer que ces hominoïdes sont bien des hominidés bipèdes qui ont été rapportés au nouveau taxon, Orrorin tugenensis.

Scan0037 Planche tirée de " Au commencement était l'homme" Par Pascal Picq p30 ( Odile Jacob ) 

La Formation de Lukeino
La Formation de Lukeino au Kenya (6 Ma) qui a livré les restes du premier Hominidé, Orrorin tugenensis, s’est accumulée dans un large bassin s’étendant environ sur 50 km du nord au sud et sur 30 km d’est en ouest, juste au nord de l’Equateur.
Orrorin a été récolté sur quatre sites localisés dans la partie sud du bassin (Aragai, Cheboit, Kapcheberek, Kapsomin), dont le plus riche est Kapsomin. A cet endroit, il y avait une falaise basse de basalte sur les marges du lac. De nombreux fossiles d’Orrorin ont été trouvés au pied de la falaise et l’aspect des os indique qu’il a été  la proie d’un grand carnivore, probablement un félin proche d’un léopard dont les restes ont été découverts sur le site. A proximité, se trouvaient des sources chaudes et les eaux qui en jaillissaient ont recouvert certains os d’Orrorin      d’une fine pellicule de travertin.

La datation
La Formation de Lukeino repose sur un trachyte, le trachyte de Kabarnet qui a livré un âge de 6,2 Ma. Elle est surmontée par les basaltes de Kaparaina vieux de 5,65 Ma. Un sill trachybasaltique qui  recoupe les dépôts a été daté à 5,62 Ma. Par ailleurs, l’étude du paléomagnétisme concorde avec ces résultats 

La morphologie dentaire
Les dents présentent des mélanges de caractères archaïques et d’autres plus modernes. Elles sont en général de taille modeste, bien inférieure à celle des Australopithèques, mais plus proche de celles des chimpanzés et des hommes. Bien que  certains caractères semblent rapprocher Orrorin des grands  singes (épaulement distal de la couronne de la canine supérieure bas, P4 avec deux racines décalées, morphologie des canines  qui toutefois sont réduites en taille par rapport à celles  des grands singes), ces derniers sont hérités des ancêtres   du Miocène, en effet ces mêmes caractères sont présents  chez les Kenyapithèques et les Proconsul, notamment. Les   dents de Kapsomin s’isolent des grands singes par l’absence  de forte crénulation aux molaires, un épaulement de la couronne  de la canine inférieure situé à mi-hauteur de la  couronne, face linguale des molaires verticale et symphyse mandibulaire   verticale et un émail épaissi aux molaires. Enfin, parmi  les caractères typiques d’hominidés, on peut noter  l’absence de diastème à la mâchoire inférieure et la présence d’un tubercule distal à la canine inférieure. 

La locomotion
L’étude des os longs d’Orrorin suggère  que ces derniers étaient bipèdes. C’est l’analyse  du fémur qui donne les meilleurs arguments: elle montre une combinaison de caractères plésiomorphes d’hominoïdes (Dans la phylogénie, un caractère est dit plésiomorphe (ou ancestral ou primitif) s'il s'agit de l'état ancestral de ce caractère. Il n'a donc pas subi de mutation le menant à un caractère dérivé (ou apomorphe).) et dérivés  d’hominidés, mais pas de caractères dérivés  de grand singe. Ainsi, la fosse trochantérienne n’est pas  profonde, à la différence des chimpanzés. L’os  est platymérique et la position de la ligne spirale rappellent  la morphologie observée chez les grands singes actuels et fossiles,  mais aussi chez les Australopithèques et l’homme. Ils apparaissent  donc primitifs. La projection médiale du petit trochanter se trouve  chez de nombreux hominoïdes miocènes comme UgandapithecusProconsul ou Kenyapithecus africanus. Sa morphologie identique  chez l’homme actuel est aussi probablement un caractère archaïque.  Les Australopithèques pour ce trait s’avère être  dérivés : le petit trochanter se projette postérieurement.  Plusieurs caractères identifiables chez Orrorin sont communs  aux Australopithèques et à l’homme : présence d’une gouttière du m. obturator externus, une encoche supérieure peu profonde, une tubérosité glutéale  bien marquée, un col allongé et comprimé antéro-postérieurement   et une distribution asymétrique de l’os cortical dans le col  (le cortex apparaît plus fin à la partie supérieure et plus épais à la partie inférieure, alors que chez  les grands singes, le cortex est épais dans toutes les directions.  Enfin, la tête fémorale est plus grande proportionnellement que le col, et est tordue vers l’avant; ces morphologies rappellent  plus nettement celles de l’homme. Chez les Australopithèques,  le diamètre de la tête fémorale est seulement un peu  plus grand que celui du col et la tête est orientée médialement   à postérieurement. Il ressort de toutes ces données que non seulement la bipédie d’Orrorin est effective, mais aussi qu’elle diffère de celle des Australopithèques, tout en se rapprochant de celle de l’homme. Les autres restes postcrâniens  suggèrent des adaptations arboricoles comme le grimper : morphologie de l’humérus aplati, courbure et longueur de la phalange proximale.

 

Paléoenvironnement
Les sédiments qui ont livré Orrorin et les fossiles qui étaient associés à ce dernier montrent que le paysage était boisé avec des concentrations d’arbres près d’un lac. La faune était dominée par les colobes et les impalas et on a signale le chevrotain d’eau. A Kapsomin, les fossiles ont été récoltés au pied d’une falaise basse de basalte. Le bassin du paléolac Lukeino était limité par des collines de faible altitude et son centre était occupé par un lac entouré de basses plaines d’inondation. La région était bien boisée et recouverte de forêt claire comme le suggèrent les plantes fossiles et la composition de la faune. On y trouvait également des étendues herbeuses. 

Taphonomie
Les trois fémurs ont tous été endommagés au même endroit - le grand trochanter (insertion des muscles fessiers)  a été grignoté, probablement pour séparer la jambe du bassin. Un des spécimens présente 3 dépressions ovales dans l’os causées par les canines d’un prédateur. La plupart des restes fauniques associés aux hominidés appartiennent à des mammifères de taille moyenne comme les impalas ou les colobes. La concentration de fossiles suggère qu’un félin   de type léopard a été responsable de l’accumulation  à Kapsomin. Certains spécimens sont tombés dans une eau qui était légèrement alcaline, comme l’indique la fine pellicule de calcite algaire qui recouvre les os. D’autres sont restés exposés au soleil et sont très craquelés. 

Phylogénie
Les os d’Orrorin sont une fois et demi plus grands que ceux de l’Australopithèque éthiopienne, Lucy, mais ses molaires sont plus petites. Ceci suggère que ses dents broyeuses étaient petites par rapport à sa taille corporelle (microdontie) à la différence de celles des Australopithèques dont les dents broyeuses étaient énormes et les corps petits (mégadontie).
Les hommes plio-pléistocènes et modernes sont microdontes et la présence de ce même caractère chez un hominidé de 6 Ma suggère qu’il était déjà présent avant 6 Ma. En fait, de nombreux grands singes africains du Miocène         inférieur et moyen (20 à 12 Ma) sont plus ou moins microdontes; on peut donc penser que cette adaptation est la condition primitive chez les grands singes, et qu’elle a été conservée chez les Hominidés. La microdontie indique un régime riche peut-être frugivore ou même omnivore. La mégadontie,  en revanche, semble s’écarter de la frugivorie et de l’omnivorie pour s’orienter vers un régime plus végétarien. C’est plus probablement une adaptation très évoluée  qui permet de différencier les Australopithèques du reste des hominidés et conforte l’idée que les Australopithèques ne se placent pas en ligne directe dans notre ascendance, comme le pensent généralement les paléoanthropologues.

Nous considérons maintenant que la divergence entre hominidés bipèdes et grands singes africains est située avant 6 Ma, et probablement entre 9 et 8 Ma, juste après que Samburupithecus a habité les savanes d’Afrique orientale il y a 9,5 Ma. Cette  découverte suggère également que la séparation  entre la lignée des Australopithèques et celle de l’homme  s’est passée bien plus anciennement qu’on ne le pensait, probablement vers 8 à 7 Ma, période qui a connu un changement important dans les communautés mammaliennes africaines.

Importance des découvertes
Orrorin possède un mélange de caractères humains et simiesques. Il est toutefois plus humain que les Australopithèques éthiopiens comme Lucy, bien que 3 millions d’années plus vieux que cette dernière. Une telle découverte nous       oblige à revoir les scénarios sur les origines de l’homme et suggèrent que les Australopithèques ne sont pas nos ancêtres directs, mais représentent une branche latérale de notre arbre généalogique.
Au moment de sa découverte, Orrorin était le premier hominidé découvert antérieur à 5 millions d’années et il suggérait que la dichotomie entre les grand singes et l’homme devait être bien plus ancienne que 6 millions d’années. 

Source : texte de Brigitte Senut publié dans les dossiers de CNRS

Les choses vont se compliquer avec la découverte de Toumaï. Contemporain d'Orrorin, il n'est connu que par son crâne. Sa face peu projetée en avant et large dans sa partie supérieure des canines peu saillantes qui s'usent par la pointe , des molaires de taille modérée placent ce fossile près des hominidés. On ne sait rien de son squelette locomoteur. Cependant, la position avancée et plus centrale du trou occipital - là où la base du crâne repose sur la colonne vertébrale - s'accorde avec l'aptitude à la bipédie , comme chez tous les homininés. Toumaï affiche d'autres caractères apparemment uniques , comme un fort bourrelet continu au dessus des orbites.

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Planche tirée de " Au commencement était l'homme" Par Pascal Picq p32 ( Odile Jacob ) 

La découverte de Sahelanthropus tchadensis est le fruit d’une recherche de plusieurs années menée par Michel Brunet, paléoanthropologue, professeur à l’université de Poitiers, nommé fin 2007 professeur au Collège de France. Dès les années 1980, il explore l’Afrique de l'Ouest et notamment le Cameroun à la recherche de couches sédimentaires âgées de 6,5 à 7 millions d’années, afin de tester scientifiquement la théorie de l'« East Side Story ». Cette théorie, popularisée par Yves Coppens en 1982, met en relation l’apparition des premiers hominines en Afrique de l'Est avec les changements climatiques et environnementaux liés à la formation du Grand rift.

Le 21 janvier 1995, lors de sa seconde mission, Mamelbaye Tomalta, un chauffeur de la Direction des Mines, découvre dans le secteur de Koro-Toro, en plein désert du Djourab, au nord du Tchad, un reste d'homininé. Il s'agit d'un fragment de mandibule ayant appartenu à un individu qui sera surnommé Abel et qui conduira à la définition de l'espèce Australopithecus bahrelghazali. La Mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPFT), une collaboration scientifique entre l'université de Poitiers, le CNAR et l'université de Ndjamena, naît de cette découverte. Des prospections et fouilles systématiques se développent et permettent la découverte en 1997 du secteur fossilifère de Toros-Menalla, plus de 150 km à l'ouest de Koro-Toro. Sur le 266ème site découvert dans ce secteur, une équipe de quatre hommes en service au CNAR – composée d'Alain Beauvilain, géographe docteur d’État, Fanoné Gongdibé, ingénieur détaché du ministère des Mines, Ahounta Djimdoumalbaye, licencié en sciences naturelles, vacataire au CNAR, et Mahamat Adoum, non diplômé, employé au CNAR – met au jour le 19 juillet 2001 le crâne de Sahelanthropus tchadensis qui sera surnommé Toumaï.

À ce jour, l’ensemble des fossiles pour l’espèce (hypodigme) se limite à neuf restes crâniens et un reste post-crânien correspondant au minimum à six individus. Ces restes proviennent de trois sites, TM 266, TM 247 et TM 292, situés à quelques kilomètres les uns des autres dans le secteur de Toros-Menalla. Le reste post-crânien est un fémur gauche d'hominidé, parfaitement identifiable, trouvé par Beauvilain le 19 juillet 2001 à côté du crâne. Des nomades, auteurs d'une vraisemblable inhumation du crâne, avaient disposé ce fémur en position d'humérus.

Tous ces fossiles étaient contenus dans la même couche sédimentaire : l’unité à anthracothères (Anthracotheriid Unit : AU).

Ces fossiles, découverts entre juillet 2001 et mars 2002, sont:

  • Un crâne sub-complet, holotype de l’espèce référencé sous le code TM 266-01-060-1, qui présente une déformation (compression supéro-inférieure et écrasement du côté gauche associés à des fissures et déformations plastiques). Il s’agit du premier reste découvert le 19 juillet 2001 par Ahounta Djimdoumalbaye. Ce crâne est surnommé Toumaï.
  • quatre mandibules partielles ou fragmentaires dont deux publiées en 2002 dans la première publication de l’espèce (TM 266-01-060-2 : fragment de symphyse avec alvéoles de canine et d’incisive, TM 266-02-154-1 : fragment droit avec une P3 fragmentaire, et la suite P4-M3) et deux publiées en 2005 (TM 292-02-01 : mandibule partielle dont il manque les parties postérieures aux P2, TM 247-01-02 : fragment de corps mandibulaire droit portant la suite P3-M3).
  • quatre dents isolées (TM 266-01-447 : bourgeon de M3 supérieure droite, TM 266-01-448 : I1 supérieure droite, TM 266-02-154-2 : canine inférieure droite, publiées en 2002 et une P3 supérieure droite, TM 266-01-462, publiée en 2005).
  • une diaphyse de fémur gauche (TM 266-01-063).

S'il est ainsi possible de reconstituer la tête, il est délicat d'avoir une idée précise du reste du corps.

Ce nouvel hominidé est associé à plus de 700 restes de vertébrés qui représentent 42 espèces dont 24 de mammifères primitifs : carnivores, éléphants, chevaux tridactyles, girafes, antilopes, hippopotames, anthracothères (groupe frère des hippopotames), nyanzachoeres (sangliers de très grande taille), rongeurs, singes, etc… 

Pour le moment, seul le crâne et la mâchoire inférieure sont connus, aucun reste du squelette axial ou appendiculaire n'a été récolté. Même un artiste particulièrement imaginatif ne pourrait donc en faire un portrait en pied.

Caractéristiques de Toumaï

En fonction des éléments connus de la tête osseuse on peut envisager une taille proche de celle du Chimpanzé commun (Pan troglodytes).

Toumaï ne ressemble ni à un Chimpanzé, ni à un Gorille, ni à aucun des hominidés fossiles plus récents décrits à ce jour.

L'absence de restes osseux des membres ne permet pas de dire si Toumaï était bipède, toutefois, une telle adaptation serait en accord avec les similitudes de la face et du basicrâne qu'il partage avec les hominidés, bipèdes avérés.

 Le crâne est caractérisé par une face haute, peu prognathe dans sa partie inférieure (sub-nasale), avec un très fort bourrelet sus orbitaire (probablement un caractère de mâle), associée à une capsule cérébrale allongée et étroite. La capacité cérébrale faible (environ 350 cc) est comparable à celle des Chimpanzés actuels. Arcade dentaire en U avec des dents jugales (molaires, prémolaires) plus petites que celles des Australopithèques. L'émail des dents est plus épais que chez les Chimpanzés mais moins épais que chez les Australopithèques.

Les canines ont des couronnes sensiblement de même hauteur que celle des autres dents à l'inverse des grands Singes où elles sont beaucoup plus hautes. Chez ces derniers la canine supérieure avec sa couronne très haute entre en occlusion avec la première prémolaire inférieure (P/3) qui présente alors une facette d'usure : la facette aiguisoire qui n'existe pas chez les humains.

Toumaï a des canines supérieures de petite taille, coniques à usure apicale, moins asymétriques que celles d'Ardipithecus (4.4 - 5.8 Ma), mais bien distinctes de celles d'Orrorin (6 Ma) qui ressemblent à celles d'un Chimpanzé femelle.

La canine inférieure de Toumaï présente une usure située uniquement au dessus du tubercule distal, ce qui implique un complexe C-P/3 non tranchant, c'est-à-dire sans facette aiguisoire sur la troisième prémolaire (probablement une des premières caractéristiques des humains).

Toumaï possède un certain nombre de caractères : canines petites à usure apicale, complexe C-P/3 non tranchant, épaisseur intermédiaire de l'émail, prognathisme subnasal réduit, pas de diastème (espace entre les dents), torus sus orbitaire fort et continu, basicrâne long et horizontal, qui indiquent, sans aucune ambiguïté, son appartenance au rameau humain. Le crâne sub-complet du nouvel hominidé, a été trouvé le 19 juillet 2001 par Ahounta Djimdoumalbaye, licencié ès Sciences Naturelles de l'Université de N'Djaména, le meilleur " chasseur " de fossiles de la M.P.F.T.. Ainsi, sur les 6 restes (un crâne, 2 fragments de mâchoire inférieure, 3 dents isolées) du nouvel hominidé mis au jour par la M.P.F.T. entre juillet 2001 et février 2002, Ahounta en a trouvé, à lui seul, la moitié.

Le nom "Toumaï"

Toumaï présente une mosaïque originale de caractères primitifs et dérivés qui permet de le distinguer à la fois des grands singes africains actuels (Gorilles et Chimpanzés) mais aussi de tous les autres genres d'hominidés fossiles décrits jusqu'à ce jour (Homo, Kenyanthropus, Australopithecus, Ardipithecus et Orrorin).

  • Toumaï appartient à une nouvelle forme que Michel Brunet et son équipe ont nommé scientifiquement dans la revue internationale Nature qui est sortie le 11 Juillet 2002
  • Toumaï, le nom vernaculaire, a été proposé par les plus hautes Autorités tchadiennes. En langue Goran, ce nom signifie " espoir de vie ", c'est le nom donné dans le désert du Djourab aux enfants qui naissent juste avant la saison sèche.

 

Paléo-environnement de Toumaï

Depuis au moins 7 Ma (Miocène supérieur), la région de Toros Menalla (Nord Tchad) a connu une succession de phases humides (associées à un " mega lac Tchad ") et de phases arides (associées au désert).

Actuellement, cette région est désertique et le lac Tchad n'occupe plus ces dernières années qu'une superficie de 5000 km2 alors que le dernier mega lac Tchad Holocène (il y a environ 5000 ans) avait une superficie de 400 000 km2.(soit 80% de la superficie de la France).

Sur le plan sédimentologique, ceci se traduit sur le site TM 266 par une série sédimentaire comprenant des sables éoliens (désert) surmontés par un grès périlacustre (transgression lacustre), lui-même coiffé par des argiles vertes (lac).

Le nouvel hominidé et les vertébrés fossiles proviennent du grès périlacustre.

La faune particulièrement riche et diversifiée (Poissons, Reptiles, Mammifères) est composée de 42 espèces dont 24 sont des Mammifères.

Les contextes géologique et faunique traduisent une mosaïque de paysages, entre lac et désert, fréquentée par des faunes aquatiques (Poissons, Crocodiles, Serpents, Tortues), amphibies (Anthracothères, Hippopotames), avec en bordure de lac une forêt galerie (Singes) puis une savane arborée parsemée de prairies à graminées (Rongeurs, Proboscidiens, Equidés, Bovidés).

La composition de la faune, marquée par l'abondance des Bovidés (plus de la moitié des individus) et des Mammifères amphibies (environ le quart), témoigne de la diversité de ces paysages, plus ou moins ouverts, situés entre  lac et désert, c'est à dire dans un contexte original très inhabituel.

Les études en cours (biogéochimie isotopique de l'émail dentaire, micro et méso-usures dentaire,…), permettront de préciser, dans cet environnement, la place occupée par le nouvel hominidé ainsi que ses préférences écologiques dans cette mosaïque de paysages.

Quel âge

Le degré évolutif des Mammifères, notamment celui des Suiformes (Nyanzachoeres, Anthracothères, Hippopotames) et des Eléphants, mis au jour sur le site TM 266 permet de proposer un âge biochronologique plus ancien que 6 Ma, très probablement au voisinage de 7 Ma.

Le contexte géologique marqué, entre autres, par l'absence de niveaux volcaniques, ne permet pas d'obtenir des datations absolues (méthode Argon/Argon par exemple).

Le degré évolutif des espèces de mammifères du site TM 266 peut être comparé à celui des faunes d'autres sites africains (Kenya, Ethiopie, Afrique du Sud et du Nord) dont l'âge radiochronologique est connu. Ainsi l'estimation biochronologique (basée sur le degré évolutif plus ou moins avancé) permet par comparaisons de proposer une datation absolue.

Implications phylogénétiques 

Les hominidés (ensemble du rameau humain) sont considérés comme le groupe frère des panidés (les Chimpanzés) avec lesquels ils partagent un ancêtre commun.

Toumaï possède une association de caractères anatomiques de la face, des canines et du basi-crâne qui indiquent clairement son appartenance au rameau humain et le séparent des Gorilles et des Chimpanzés.

Son âge voisin de 7Ma et l'ensemble de ses caractères anatomiques, indiquent qu'il est proche du dernier ancêtre commun aux Chimpanzés et aux humains. Il montre que cette dernière dichotomie est sûrement plus ancienne (au moins 7 Ma) que prévu par certaines phylogénies moléculaires.

Pour le moment tous ces éléments font de Toumaï le plus ancien hominidé connu et, permettent de le considérer comme l'ancêtre de tous les hominidés ultérieurs, c'est à dire : l'ancêtre du rameau humain.

Par ses canines coniques il est moins dérivé que Ardipithecus (4.4 - 5.8 Ma), dont il peut être considéré comme l'ancêtre.

Compte tenu du caractère très fragmentaire du matériel actuellement publié pour Orrorin (6Ma) les comparaisons sont difficiles. Toutefois par sa canine supérieure très semblable à celle d'un Chimpanzé femelle, Orrorin s'éloigne complètement du nouvel hominidé tchadien.

 

Source : Dossiers du CNRS 

Ces découvertes montrent combien la question des origines ne doit pas prendre en considération, démarche encore trop répandue, l'idée que les grands singes africains actuels ressemblent à nos ancêtres. Ainsi, l'émail épais et la bipédie , deux caractères considérés comme évolués car présents chez l'homme , se révèlent bien plus ancestraux comme le montre Orrorin. Il en est de même pour des canines peu développées si on regarde du côté de Toumaï. La reconstitution de l'état de nos origines doit s'appuyer sur ce que nous partageons avec les grands singes africains et attendre la confirmation ou l'infirmation par les fossiles. C'est toute la simplicité et la rigueur de l'approche phylogénétique associée à la paléontologie.  

La séparation des Paninés et des Homininés ( P. Picq " au commencement était l'homme" p 34 )

Comment la lignée des grands singes africains, celle des Paninés s'est elle séparée de la lignée des hommes, les homininés, à partir de ce dernier ancêtre commun dont Orrorin semble assez proche ? Récemment, l'hypothèse la plus cohérente faisait intervenir une séparation entre les deux lignées à la suit d'évènements géologiques et climatiques affectant l'Afrique entre 8 et 6 millions d'années. C'est l'East Side Story élaborée par Yves Coppens.Un grand fossé d'effondrement déchire l'Afrique depuis l'Ethiopie au Nord jusqu'au lac Malawi au sud, séparant la part orientale du reste du continent. Ce sont les vallées du rift et leurs grands lacs. Le processus commencé il y a plus de 20.000.000 années , a connu une période critique vers 8.000.000 années, avec pour conséquence l'élévation des contreforts du rift formant une grande barrière géographique. Depuis cette époque , les précipitations venant de l'ouest , du golfe de Guinée, butent sur cette barrière . Dès lors la pluviosité décroît en Afrique de l'Est. Le climat devient saisonnier et soumis au régime des moussons. Il favorise le développement des plantes herbeuses , les graminées, et l'expansion des savanes. Les faunes dites "éthiopiennes" et adaptées à ce type d'environnement deviennent dominantes. C'est dans ce contexte qu'émerge notre lignée, celle des homininés.

L'hypotèse de Yves Coppens se fonde sur la documentation fossile et fait intervenir un mode de spéciation par vicariance  . En effet, parmi des milliers de fossiles de vertébrés trouvés à l'est du rift - dont les singes fossiles proches des colobes et adaptés à la vie dans les arbres- on ne connaît pas de fossiles de Paninés. Ces derniers auraient évolué à l'ouest du rift. Dans cette East Side Story, le processus  qui voit l'apparition de nouvelles espèces , la spéciation, consécutive à la séparation des populations du dernier ancêtre commun à cause de l'interposition d'une barrière géographique , s'appelle la vicariance. C'est l'un des modèles les plus couramment admis de spéciation et il s'applique à notre histoire évolutive en regard des données disponibles.

Il reste à discuter des conséquences de l'East Side Story sur l'apparition de caractères tels que la bipédie et l'émail épais des dents , déjà présents chez Orrorin . Pour Yves Coppens, la dichotomie s'opère vers 8.000.000 années et ces caractères correspondent à des adaptations à la vie dans les savanes arborées. La bipédie est acquise pour favoriser les déplacements et mieux scruter les alentours alors que l'émail permet la mastication des nourritures plus coriaces, abondantes dans ce type d'environnement. Donc, Orrorin se place résolument sur notre lignée et préfigure ce que seront les homininés plus récents, comme les australopithèques . Pascal Picq pense que la bipédie  - les bipédies - existe depuis déjà fort longtemps au sein des hominidés, alors qu'un émail épais se retrouve chez des espèces arboricoles de grande taille qui mangent des fruits coriaces. En d'autres termes, ces caractères proviennent du monde de la forêt - comme le suggère la reconstitution du dernier ancêtre commun- en ne sont pas apparus avec la vie dans les savanes arborées, même s'ils ont été renforcés dans ce contexte par la suite. Il est donc possible qu'Orrorin précède la dichotomie entre les paninés et les homininés.

On peut développer le même raisonnement à propos de Toumaï. Pour ses inventeurs , il se situe lui aussi après le dernier ancêtre commun , déjà engagé sur la branche des homininés . Cette fois, les caractères invoquésse montrent très différents . Il faut admettre qu'une face peu prognathe comme une réduction de la taille des canines sont fort anciennes . Dit simplement, Toumaï a une face et quelques caractères de la base du crâne qui évoque les hominidés agés de 3.000.000 années alors que sa boîte cranienne , par sa taille et la morphologie de sa partie accipitale , ressemble à celle des grands singes africains. La façon dont on regarde le crâne de Toumaï ne conduit pas aux mêmes conclusions.

Alors, est-ce Orrorin ou Toumaï le plus ancien homininé ou représentant de notre lignée après le dernier ancêtre commun ? Dans l'état actuel de nos connaissances des fossiles, on ne peut pas trancher ces hypothèses . Ceux qui soutiennent l'une ou l'autre disposent de bons arguments . On n'est pas prêt de résoudre cette question tant qu'on ne pourra pas comparer plus de parties squelettiques communes à ces fossiles. L'un semble bien engagé sur notre lignée grâce à sa bipédie, l'autre par sa face. Cependant , les parties comparables, comme les dentitions et notamment, les canines révèlent de grandes différences. 

Ce débat a le mérite de soulever quelques mauvaises habitudes en paléoanthropologie. L'une consiste à considérer que des caractères propres aux homininés sont nécessairement plus dérivés que ceux reconnus chez les paninés. Les deux fossiles qui nous intéressent questionnent ce postulat car nul ne sait aujourd'hui si les bipédies, l'émail épais, une face peu prognathe ou encore des canines peu saillantes ne se manifestent que dans notre lignée. Celà a des conséquences très fâcheuses , puisque, pour les périodes qui nous intéressent , il est logique de trouver des fossiles avec des caractères propres à ces deux lignées . Alors - et c'est humain - les paléoanthropologues mettent en exergue les caractères "homininés" supposant qu'ils sont nécessairement dérivés, bien qu'on en soit pas sûrs. Bilan de cette attitude : on se retrouve avec plus de 17 espèces d'homininés  et aucune de paninés. Il y a manifestement un problème , d'autant que les paléoanthropologues se voient obligés , pour la cohérence de leur propos, de faire reculer la date de la dichotomie entre homininés et paninés, ritiquant au passage les estimations livrées par l'horloge moléculaire .

Depuis trois décennies, la systématique phylogénétique ou cladistique propose une méthode rigoureuse pour traiter ce type de question . Seulement, la plus belle des méthodes ne peut donner que ce qu'elle a. La difficulté est que la famille des grands singes africains , les hominidés, n'est plus représentée que par quelques espèces , très spécialisées à bien des égards ( hommes, chimpanzés, bonobos et gorilles ) . Il s'avère donc difficile d'établier la polarité des caractères , autrement dit leur transformation d'un état archaïque à un état dérivé, sans oublier les convergences évolutives. Constat évident : tant que l'on n'aura pas plus d'espèces fossiles, surtout des périodes comprises entre 14 et 7 millions d'années, on butera sur cette difficulté.

Avec Toumaï et Orrorin, on flirte avec le dernier ancêtre commun. La question est de savoir lequel en est le plus proche et si l'un ou l'autre se situe avant ou après la dichotomie . Celle-ci est loin d'être résolue et une chose est certaine, au rythme actuel des découvertes, on peut s'attendre à bien des surprises.        

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 18/05/2018

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